Azé Kokovivina Concert-band Photo: Gaëtan Nousouglo

Théâtre : Azé Kokovina ou le retour du concert-party

Samedi 4 septembre 2010 à Tokoin Ramco. Le Concert party, ce théâtre populaire d’improvisation avec canevas,  qu’on disait disparu du paysage togolais, refait surface avec la compagnie d’un des comédiens les plus prisés du genre, l’inoubliable Azé Kokovina dont la troupe avait autrefois disparu dans un accident de la circulation.

 Ce soir, on improvise…

Les habitudes du concert-party ont la vie dure. Annoncé pour 20h, le spectacle n’a démarré effectivement qu’à 22h30. Pour suivre le concert – party, il faut s’armer de courage et de patience, le retard de 2h à 3h est monnaie courante. A 21h, le décor est planté. Les musiciens – un batteur, deux guitaristes et quatre chanteurs – chauffaient la cour de cette maison d’environ 1000m2 en attendant l’arrivée du public et du chef du groupe, Azé Kokovina, de son vrai Mawulomi Adankanou. Les classiques du High life – musique populaire née au Ghana en 1920 et très souvent utilisée dans le concert-party – le reggae de Alpha Blondy des années 80 et surtout les chansons de Franco, du Tout Puissant OK Jazz, sont visités d’un air très décontracté, puis l’orchestration s’achève sur un malicieux clin d’œil à « Malaïka » de Myriam Makéba.  Entre le fanti, le fon, le mina, le lingala, le swahili, l’anglais et le français, les humoristes et artistes intermittents de la chanson nous font déambuler d’un rythme à l’autre, d’une langue à l’autre en attendant le grand moment.

La nonchalance du début  et le réglage du son cèdent la place à l’animation, les danses deviennent fermes, spectaculaires, le public franchit le pas aux alentours de 22h. Vers 22h30, un spectateur hausse le ton : « Alors, vous commencez oui ou non ?» lance-t-il en mina, langue véhiculaire du Togo. Le chef d’orchestre lui répond, « Hé mon frère, laisse-moi faire mon boulot ! Tu as fini le tien dans la journée. Le mien s’amorce. Il faut attendre. La nuit ne fait que commencer. ». Cette pratique est courante au concert-party. J’attendais le moment du match d’injures, entre le public et les comédiens, qui n’arrivera pas ce soir. Le public n’était pas vraiment au rendez-vous : une cinquantaine ayant payé sa place et une trentaine qui vient de la maison.

 Azé Kokovivina, comédien et magicien

 La vraie soirée débute avec l’entrée d’Adakanou Mawuélonmi, un sac à la main.  Les comédiens ne sont jamais connus du public car ils se maquillent avant de commencer le spectacle. Le maquillage classique du concert-party, c’est le visage peint tout en blanc ou en noir et blanc. Pour chauffer la salle, ils sont habillés comme dans la vie normale et chantent. La chanson fétiche «Anyinefa » d’Azé est exécutée avec un excellent jeu de miroir entre Adakanou et Adanlété Abouti dit Nazo. La musique et la danse mettent l’ambiance, adoucissent les cœurs. En ce moment, une pluie fine se met de la partie, certains spectateurs cherchent un abri, les autres restent sur place. Azé agite son mouchoir blanc tout en dansant avec frénésie, s’arrête, l’enfonce  dans sa bouche quelques secondes, regarde le public, avance, descend de la véranda servant de scène, met le mouchoir au sol devant le public, retourne danser et vers la fin de sa chanson, redescend, piétine le mouchoir qui prend aussitôt feu. Du spectaculaire ! Mais de l’avis du public, il venait d’arrêter la pluie. Les Loméens, surtout les habitués de ce théâtre populaire, donnent à Azé un pouvoir surnaturel. Il est non seulement un grand humoriste mais aussi il est capable d’arrêter la pluie, de secouer son mouchoir pour faire venir un public très nombreux et bien d’autres choses encore.

Visage maquillé en blanc, costume burlesque, l’humoriste Gozopi surgit dansant et racontant une histoire vaudevillesque à dormir debout, tout le monde éclate de rire. Le nom du groupe Azé Kokovivina ne signifie-t-il pas les sorciers du rire, plutôt les sorciers du rire bienfaiteur ? On attendait d’autres humoristes mais Azé coupe court à cette série pour annoncer le spectacle de la soirée : « Lolon nye Ku », traduction littérale « L’amour est mort ou L’amour engendre la mort »

C’est l’histoire d’un misérable aveugle et de son fils. Ils mendient pour survivre. Un jour, se lamentant sur leur sort, une invitée surprise, une jeune fille –toujours un travesti, le concert n’emploie jamais de comédiennes-, les convie chez elle. Quelques jours plus tard, le fils de l’aveugle lui fait une demande en mariage. La jeune femme lui négocie un bon boulot dans une banque. Les missions à l’étranger s’enchainant, l’homme met au service de la famille un boy, personnage clef du concert ayant le sens de la répartie. La femme est devenue jalouse des missions de son mari et se sent mal aimée. Voulant garder à tout prix son mari, elle va consulter un « charlatan » qui lui donne un filtre d’amour, en réalité un poison car le charlatan convoite également cette femme.  Elle empoisonnera sans le vouloir son mari. Sur instance du boy, le « Charlatan » sera empoisonné à son tour. Le boy finira par forcer la femme à boire à son tour le filtre. Au boy revient alors la fortune de toute la famille ! Il n’aura guère le temps d’en jouir, le fantôme du mari sort de l’ombre et le boy court se cacher dans le public. Et tout finit par une leçon de morale.

 L’art magnifique du concert-party

Cette histoire simple au concert prend une allure ubuesque, vaudevillesque ou carrément  puise ses ressources dans le jeu masqué. Certains rapprochent ce théâtre de la comedia dell’arte. La démarche du boy, le personnage central du groupe est joué par le Chef du groupe Azé Kokoviviva. Sa démarche rappelle en même temps celle d’Arlequin et de Brighella. Mais dans le concert-party, l’habillement est tout autre. Il est habillé en boy scout. Les yeux et le visage mis en exergue par le maquillage blanc. Le boy est rusé, agile, souple, cynique et est souvent fidèle à son maître. Dès son arrivée sur scène, il tourne en dérision la femme de son patron . Il se moque de sa forme qui n’a aucune ressemblance avec la rondeur habituelle des femmes. Il la compare à du fagot sous les rires du public. C’est lui qui démasquera le mauvais jeu du  Charlatan et de la femme. C’est lui également qui contraindra la femme à aller demander en mariage le « Charlatan » pour mieux l’avoir. Son avidité va le pousser  à contraindre la femme à boire le poison. « Tu boiras ce poison, tu mourras et moi, je partirai avec tout ». Et avec des prises du Kung-fu Shaolin, influences des films de karaté, qui provoquent de fous rires dans le public, et aussi avec un clin d’œil à la boxe de Cassius Clay  il réussira à assouvir sa passion. Mais il ne pensera pas à l’arrivée du fantôme du mari. Ce fantôme est en costume rappelant le sceptre de la mort en Occident avec masque, habit noir. C’est une trouvaille d’Azé qui doit dater de son voyage en France (Nantes) en 1986 avec la Troupe Nationale du Togo

Tout porte à croire, à travers ce spectacle, que le retour sur la scène d’un des derniers maîtres du concert préfigure d’un renouveau du genre. Du moins peut-on l’espérer. Théâtre populaire, résolument boudé par l’élite, le concert-party a disparu du paysage théâtral togolais. Et toutes les tentatives pour le ressusciter ont été vaines. Pour Kangni Alem, professeur de théâtre à l’université de Lomé, qui prépare actuellement un documentaire sur Azé Kokovivina, seule une tentative comme celle esquissée par Azé pourrait contribuer à la renaissance du genre, encore faudrait-il que le cadre du jeu des comédiens change, comme cela a été le cas au Ghana, où le National Theatre a ouvert ses portes aux saltimbanques et attiré un nouveau public, plus varié, qui a aidé le concert-party à devenir un genre respecté, très prisé par les politiciens et les entreprises.

Gaëtan Noussouglo© Togocultures

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