Gustave akakpo ( Photo : Fabrice Boulais) est né en 1974 à Aného au Togo, un pays d’Afrique qu’on dit toujours en émergence. « Je ne veux plus être en émergence ; j’émerge et je définis mon quota de respiration. » clame-t-il et sa respiration se définit aujourd’hui à travers une coiffure afro des années 70, un blues jean et une veste cuir. Il a évolué au Togo avec Ensemble Artistique de Lomé, Escale des écritures, le FESTHEF, le Centre Culturel Français, Espace Arema et Denyigba en tant que comédien, écrivain et opérateur culturel. Il est arrivé en France en 2005. Il coordonne actuellement les activités de lecture du Tarmac de la Villette à Paris.
Au lieu de crier, il écrit, joue et anime des ateliers dans les établissements scolaires et les prisons en France, en Afrique, dans les caraïbes. Attendu au Festival des Arts Nègres au Sénégal en Décembre et à Sao Polo au Brésil en mars 2011 où il animera des ateliers d’écriture respectivement en prison pour des femmes et pour une classe d’étudiants. Invité par la Scène Nationale de Montbéliard, l’Allan, il anime depuis hier un atelier d’écriture au Collège Jean-Paul Guyot à Mandeure et rentre à Paris le samedi. A Montbéliard entre deux spectacles, il a consacré deux heures pour une discussion à bâtons rompus avec Togocultures.
Togocutures : Qui est Gustave Akakpo ?
Gustave Akakpo : C’’est difficile de se définir surtout lorsqu’on a toujours refusé d’être mise en « case », catalogué. Notre monde aime bien les choses rangées, casées. Tout ce qui est rangé est clinique et meurt. C’est sans doute la raison qui m’a poussé vers l’art. L’art est forcément dérangeant. Le hasard des naissances a fait de moi un Togolais et les chemins de la vie m’ont amené vers la scène en tant que comédien, l’art dramatique en général, la littérature de jeunesse, la peinture. Moi qui rêvais d’être médecin, explorateur…
Togocultures : Y voyez-vous vos rêves brisés ?
Gustave Akakpo : Ou plutôt si. Brisés comme un miroir offrant avec ces morceaux épars une possibilité infinie de combinaison permettant de jeter un regard non pas singulier sur le monde. Je ne dis pas : celui qui n’est pas artiste a un regard univoque. L’exercice de l’art oblige à multiplier les angles de vue surtout au théâtre. Et pour moi un artiste, c’est quelqu’un qui est curieux du monde. Et dans curieux, il y a « curable », ce qui me ramène à la médecine. Par ailleurs, écrire c’est aussi constamment être ailleurs, explorer d’autres univers en dehors de celui auquel le hasard géographique pourrait nous astreindre.
Togocultures : Donc, vous voyez la vie comme un jeu de miroirs ou un cadavre exquis.
Gustave Akakpo : Comme un jeu de masques aussi ! Je pense qu’on fait l’expérience du masque avant celui du miroir parce que la vie nous apprend à avancer masqué. Et un jour, on se rencontre dans le miroir. On voit tous ces masques qu’on a portés, on les remet en cause à la recherche de la figure initiale. Mais… existe-t-elle vraiment ? J’aime bien la combinaison de ces deux mots, cadavre et exquis. Parce ça ramène à la mort, à la dimension de la vie. Notre siècle a peur de la mort. Moi, j’ai toujours eu plus peur de la vie que de la mort. Et c’est cette peur-là qui me fait avancer. Il est facile de mourir,ça peut se régler en quelques secondes. Mais vivre ?! La vie nous engage hors de nous-mêmes, nous héritons d’une vie qu’on n’a pas demandée et quelque part nous avons la responsabilité de la transmettre.
Pourquoi avoir quitté le Togo pour la France ? Est-ce par choix d’une autre vie ? Ou bien vous vous êtes réveillé un matin, et tout est devenu si étroit qu’il faut choisir un autre horizon ?
Gustave Akakpo : En fait, quand j’étais au Togo, j’étais déjà parti dans ma tête. Non pas forcément parce que je voudrais quitter le Togo mais parce que je suis profondément nomade dans l’âme. Je n’arrive pas accepter le fait que la terre ne puisse pas être partagée entre tous ses habitants. Alors que la vie nous enseigne qu’un battement d’ailes de papillons à un bout de la planète peut provoquer un raz de marée à l’autre bout. Pour être concret, je ne me suis pas décidé un jour de quitter mon pays, le Togo. Surtout, j’estimais en tant qu’artiste, homme de théâtre, j’avais des choses à partager sur place avec mes compatriotes, ce que j’ai fait notamment au sein de l’Association Escales des Ecritures. Il y a aussi des parcours de vies qui se sont imposés à moi. Par exemple, j’avais postulé pour animer un centre culturel qui aurait dû voir le jour grâce au Programme du PSICD – Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles Décentralisées mis en place à l’époque par l’Union Européenne – cela n’a pas pu se faire pour d’obscures raisons politiques. Ce projet aurait vu le jour et ma vie n’aurait pas été celle-là ! La vie prend parfois des chemins sur lesquels on n’a pas de contrôle. C’est en 2005 que j’ai pris la décision de rester en France lorsque le « Fils » a pris la place du « Père » au Togo. Il y a eu des arrestations. Des amis ont été arrêtés et je ne pouvais pas renter à l’époque. Alors que je me suis toujours vu imaginer faire l’aller-retour entre la France et le Togo et j’ai été obligé de changer mes plans. Je pourrais rentrer aujourd’hui mais je ne me rendrais pas service. Ni à moi, ni aux rêves ou projets culturels que j’ambitionne pour le Togo. Parce que sur place, il y a des moyens mais pas encore de volonté politique. Ce qui me met dans ce paradoxe : travailler et vivre en France avec l’ambition de réaliser des projets au Togo.
Propos recueillis pour Togocultures par Gaëtan Noussouglo © Togocultures