La sortie du nouveau-né est une pratique courante dans les familles togolaises d’aujourd’hui. Le contour et le déroulement de l’événement, a priori traditionnels, sont de plus en plus modernisés. Chaque couple togolais donne une particularité à la cérémonie en y ajoutant parfois une touche religieuse. Ce qui n’influence en rien la signification première de l’acte, celui de confier le nouveau-né à ses aïeux dans la tradition de ses ancêtres.
Chez les Ewé et les Mina du Togo, cette cérémonie symbole la purification, la présentation officielle et l’intégration du « nouvel Homme » aux membres de la communauté dans laquelle il a vu le jour. C’est un acte à la fois social et spirituel : un « baptême traditionnel » par lequel l’enfant est présenté aux dieux tutélaires, à son lignage et la communauté toute entière et à partir de ce moment-là, il est nommé ou porte un nom pour la première fois.
Le rituel et la nomination du nouveau-né
Très tôt (5h), le matin du 8e jour de la naissance de l’enfant chez les Mina et les Ewé, la famille se présente au domicile du couple ayant annoncé la naissance de leur enfant. Il est formellement interdit de parler à quiconque ce matin-là avant le début de la cérémonie car toute parole doit être insufflée par les ancêtres ou les dieux ayant envoyé l’enfant dans le monde des vivants. La nuit du 7e au 8e jour, on remplit une calebasse d’eau qu’on expose pour son « renouvellement » à la rosée matinale sur la cour de la maison.
Dès l’arrivée de la famille et de « l’ancien » , on procède à une libation devant le portail avec de l’eau mélangée à la farine de maïs (djassi) et une boisson sucrée – d’habitude une bouteille de limonade – pour apaiser l’esprit des ancêtres et invoquer la bienveillance divine. On invoque les dieux des quatre points cardinaux. Ayant eu leur accord, on procède aux « relevailles » ou rite de sortie. Le responsable de la cérémonie passe la main à un membre de la famille né le même jour de la semaine que l’enfant. Ainsi désigné, cette personne fait des aller-retour de la chambre à l’extérieur avec l’enfant dans ses bras. Au bout de la sixième entrée, il attend un signal qui n’est autre que la lancée de l’eau préparée sur le toit. Enfin, il sort la septième fois, le bébé en avant exposée à la chute de l’eau sur son corps nu. Le nouveau né crie comme au premier jour de sa naissance. L’enfant purifié se réveille ainsi à la lumière du jour, aux forces et aux lois de la nature. A partir de ce moment-là, il ne porte plus les souillures de ses parents ou de son ancêtre. Plusieurs bénédictions pleuvent sur lui. Cette eau dissipe les puissances de l’ennemi comme l’eau dans les rites d’exorcisme et de baptême de l’Eglise catholique.
Le nom donné, certaines fois, est lié à plusieurs éléments : éphéméride, conditions de sa naissance, philosophie des parents ou carrément ce nom permet de savoir qui il est quel ancêtre l’envoie ou de quel ancêtre est-il la réincarnation. Une fois l’enfant identifié, il est nommé et peut tranquillement en tant que « vieil homme » intégrer la famille. Cependant l’erreur d’ancêtre et de nom de l’enfant peut créer de graves disfonctionnements dans la vie de l’enfant. Il est souvent gravement malade obligeant les parents génétiques à aller chercher le véritable ancêtre « Djoto » de l’enfant. Lors de cette cérémonie, les traits de l’enfant sont observés avec minutie pour établir les ressemblances.
La communion avec le nouveau-né
Dans certaines communautés, il n’y a pas de place à la libation mais juste pour les cérémonies purificatrices de l’enfant. Plusieurs éléments selon les communautés participent à ce rituel : le « fa » pour connaître le sort et l’ancêtre réincarné de l’enfant, l’utilisation de l’hysope (Kpatima) pour enlever toute souillure ou « Evi, Ahohé ou Awo » ayant servi à la cérémonie est distribué aux participants pour les mettre en communion avec le nouveau-né. A la fin de la cérémonie, d’autres membres de la famille arrivent sur les lieux vers 7 ou 8h pour la grande fête au cours de laquelle le nom de l’enfant est communiqué.
Cette cérémonie n’intervient pas suivant les mêmes rites chez les Ewé, les Guin, les Anago, les Kotokoli ou encore les Moba par exemple. Quand bien même il existe des exceptions, le matériel de base utilisé semble faire l’unanimité : il s’agit de l’eau et d’un récipient que constitue la calebasse. La détermination du jour ou de la période d’exécution d’un tel usage culturel après l’accouchement obéit aussi à la même logique prédéfinie. Si la plupart tablent sur le huitième (8ème) jour de la venue de l’enfant au monde d’autres jouent sur des considérations astrologiques ou cosmogoniques en prenant en compte la levée de la lune.
La concurrence des religions venues d’ailleurs et modernisation du rite
La cérémonie de sortie du nouveau-né se modernise, mieux, s’occidentalise sous le sceau des religions venues d’ « ailleurs ». Ceci est essentiellement le lot des chrétiens. En effet, si beaucoup ne contestent pas fondamentalement la légitimité de cette cérémonie, se fondant sur le parallèle fait avec la cérémonie « de présentation de Jésus-Christ au Seigneur dans le temple de Jérusalem » (Evangile Selon Saint Luc Chapitre 1 du verset 21 à 40), nombre d’entre eux n’ont que faire « dorénavant » des foudres promis – différentes malédictions et leurs corollaires – à ceux qui ne se plient pas à ce cérémonial. Ainsi, à défaut d’amputations cérémonielles substantielles, chants et accessoires traditionnels – comme la calebasse, certaines plantes ou herbes particulières, morceau de charbon de bois,… – n’ont plus droit de cité. Ils ont fait place à des cantiques et chants religieux, à la lecture d’extraits bibliques.
Du coup, la cérémonie de sortie du nouveau-né se réduit au strict minimum ou est exécutée sous un jour chrétien, si elle n’est pas carrément supprimée. C’est le cas par exemple chez les « pentecôtistes » ou encore chez les chrétiens Guin.
Cette pratique qu’on taxe souvent de « traditionnelle » semble, néanmoins mieux s’accommoder à d’autres religions comme l’islam parce qu’elle apparaît ici comme une émanation et une obligation coranique, avec principalement comme ingrédients cérémoniels, la noix de cola et un mouton ou une chèvre. En tant que rite, elle prend généralement les allures de celle faite chez les chrétiens. Cette remarque est également valable chez les « bouddhistes » , à la seule différence qu’elle est presque « facultative » et s’apparente à une consécration du bébé à Bouddha.
Cérémonie « coexistencielle » à l’islam et au bouddhisme, la sortie du nouveau-né semble perdre de son essence traditionnelle chez les chrétiens togolais. Elle ne demeure pas moins une obligation chez les Péda (démembrement du groupe ethnique Guin). « Lorsqu’un enfant naît le cercle de la famille applaudit à grands cris » quel que soit son ancrage dans la réalité sociale du milieu où on vit.
Gaëtan Noussouglo et Edem Gadegbeku © Togocultures