Sous la culée rive gauche du pont Alexandre 3, nous avons croisé par hasard une anthropologue américaine Judy Rosenthal (photo). Elle enseigne à l’Université de Michigan aux Etats- Unis. C’est une femme humble, habillée de façon simple malgré le grand froid. Ses scarifications d’initiée sont couvertes par ses vêtements et elle n’osera les monter qu’aux initiés et aux intimes. Elle était très contente de confier sa foi en Gorovaudou à Togocultures. Son passé renaît en elle et illumine tout son être. Sa visite au Togo en 1985 alors qu’elle était âgée de 45 ans a bousculé toute sa vie. Elle est restée dans une maison du « vaudou de la noix de kola ou vaudou de cola », non loin de la capitale Lomé auprès des prêtres et prêtresses Gorovaudou. Ce petit village, elle veut en garder le secret et le nom pour protéger ses habitants qui lui ont fait confiance des « Européens à la recherche de sensations fortes ». Après les trois années de vie, elle a entrepris l’étude d’anthropologie et est devenue spécialiste du Gorovaudou et de Mama Tchamba. Elle s’est confiée à Togocultures.
Togocultures : Qu’est-ce qui vous amené au Togo ?
Judy Rosenthal : La première fois que je suis allée au Togo c’était pour voir des amis. Et lors de cette visite il y a deux prêtresses vaudou qui m’ont demandé d’orienter mes travaux de recherches sur elles. J’avais à l’époque 45 ans. Ce travail m’a permis d’entamer une étude d’anthropologie au Togo prioritaire, et sur la côte ouest-africaine. Ce qui va m’amener à faire un doctorat à l’université en anthropologie. Ainsi, j’ai pu faire plusieurs aller-retour pendant plusieurs années. Et mon travail a été axé sur ces femmes.
Togocultures :Vous êtes spécialiste du Gorovaudou, qu’est ce qui vous fascine dans ce vaudou particulier ?
Judy Rosenthal : C’est une adoration d’esprit d’esclaves, c’est-à-dire des gens du nord qui ont été obligés de partir dans le sud, et qui ont été achetés par les lignages du sud. Ces vaudous, ces esprits sont donc protecteurs, et ils guérissent les gens, lors des célébrations. Il y a des gens qui passent en transe et qui ont donc des pouvoirs de guérisseurs.
Togocultures :Est-ce qu’il n’y a pas une petite confusion entre le Gorovaudou et le Mama Tchamba ?
Judy Rosenthal : Ce sont des cousins. Dans le vaudou Tchamba tous les esprits sont aussi des esprits d’esclaves nés dans la famille et réservés strictement au cercle familial alors que le Gorovaudou n’importe qui, même moi, peut en faire partie. Il n’est pas nécessaire que les adeptes soient nécessairement de la famille, au sens strict du terme, pour être adepte du Gorovaudou.
- Togo cultures : Comment arrivez-vous à convaincre les populations occidentales que dans le vaudou il y a des divinités et non des poupées que l’on brandit partout ?
Judy Rosenthal : J’ai écrit un livre de 300 pages sur ce sujet. Il faut du temps pour faire comprendre aux Européens surtout aux Américains que le vaudou c’est une religion. Une religion comme toutes les religions qui est là pour protéger les gens. Mais les pratiques vaudou ne sont pas seulement pour des guérissons, mais elles sont aussi une communion avec des esprits qui donnent une jouissance formidable à des communautés. C’est quelque chose qui fait vivre les gens en donnant un sens très fort à la vie.
Le vaudou d’Hollywood est quelque chose d’inventé et de faux
Togocultures :Le vaudou ne ferait-il que du mal ?
Judy Rosenthal : Evidemment que non ! D’ailleurs je ne pense pas qu’il y ait des gens au Togo qui affirment que le vaudou fait du mal, il n’y a que les églises qui prêchent que le vaudou est quelque chose de mauvais. Les gens que je rencontre aux Etats-Unis savent que le vaudou d’Hollywood est quelque chose d’inventé et de faux. La plupart des personnes sont prêtes à comprendre que le vaudou est une religion qui mérite un respect tout comme le Christianisme ou l’Islam.
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Extrait du Film « Chasing the Spirits » de Eric Montgomery et Christian Vannier
Togocultures :Y a-t-il des points communs entre le chamanisme et le vaudou ?
Judy Rosenthal : On pourrait dire qu’il relève du même genre de travail des gens. Ces deux religions aident les gens à faire face au passé, aux événements historiques. Elles font venir le passé dans le présent, mettent ensemble les ancêtres et les jeunes. Le Gorovaudou dans le sud du Togo par exemple, est une religion qui permet à sa communauté de vivre en symbiose avec la nature, les ancêtres ou les vivents. Les vivants sont en lien étroit avec le monde des disparus et l’univers entier.
Togocultures :Aujourd’hui il y a un regain d’écologie en Europe et aux Etats Unis, et donc la nature a un esprit, donc il ne faut pas faire n’importe quoi à la nature ?
Judy Rosenthal : Absolument, chaque esprit Gorovaudou par exemple, est aussi un esprit de la nature. Donc il y a certains esprits qui sont liés à certains animaux mais aussi à la forêt, aussi à des herbes. Evidemment, détruire la nature est un non sens dans la religion vaudou.
Togocultures :Est-ce qu’il vous est arrivé de décrypter la danse du Gorovaudou ?
Judy Rosenthal : Cette danse s’appelle le blékété, il y a un instrument spécial pour cette danse. C’est un peu comme si on était sur un cheval. C’est une danse qu’on dit venir du nord.
Interview et photos réalisées par Gaëtan Noussouglo © Togocultures