Littérature : portrait Esso-Wêdéo Agba : Un écrivain à la recherche de la dignité humaine

Peu disert, presque taciturne, mais débordant de chaleur pour le genre humain, Esso-Wêdéo Agba étrenne avec sa moustache et les verres encadrant ses yeux, le regard de ces hauts fonctionnaires d’État insensibles aux critiques mais pour qui seul l’efficacité et la finalité comptent.

Secrétaire général au ministère des finances de 2000 à 2008, donc à un poste stratégique dans un Etat où la démocratie est encore balbutiante, Esso-Wêdéo Agba s’est pourtant octroyé un droit au chapitre : écrire pour dire sa pensée, même si cela peut déranger. Il est nommé en février 2009, secrétaire adjoint avec rang de ministre de la Zone d’Alliance de Coprospérité (ZACOP) regroupant le Togo, le Bénin, le Ghana et le Nigéria.

Et dès sa première fois qu’il prend la plume, il convainc le public avec son roman Si l’idée ne germe (Editions NEA-Togo, 1999), qui remporte le Prix littéraire France-Togo. Il y dépeint les contraintes sociales qui empêchent l’homme de vivre dignement, la misère sociale, la corruption des grands. Il récidive six ans plus tard avec Les Germes étouffés (Editions Graines de Pensées, juin 2005), un roman dans la même veine mais un cran au dessus. Pourfendeur de la pensée unique, il s’attaque également au mal le plus endémique qui mine les sociétés africaines : le tribalisme et ses corollaires, les pesanteurs sociales contre la liberté de l’individu et son bonheur. Ce second livre, le plus important de son œuvre est un réquisitoire au vitriol contre l’idéologie de la pensée unique et du parti unique et tous les désenchantements qu’il a engendrés.

A l’entame du livre, attention lecteur : courage ! Bien qu’un tout petit peu difficile à soutenir à cause du contenu un tant soit peu philosophique, le prologue accroche le lecteur avec la situation du personnage principal présenté comme mort par arrêt de la réflexion. Oui, contrairement à d’autres qui meurent parce qu’un organe s’est déglingué, le héros Sim Massiki est mort de façon ambiguë par « arrêt de la réflexion », « une drôle de mort » comme l’écrit le narrateur. Le roman part d’une histoire d’amour et de mariage mixte, un peu à la manière du Chant écarlate d’Aminata Sow Fall, avec cette différence qu’il s’agit, ici, d’une idylle entre nègres d’un même pays, un nordiste et une sudiste. Sim Massiki, le nordiste, un intellectuel se marie à une sudiste médecin de son état. Le mariage tourne au vinaigre face aux préjugés tribaux des parents de Sim et ceux plus sournois des parents de sa femme, des réalités politiques du pays dirigé par un homme de l’ethnie kiya, groupe ethno-tribal proche du héros. La femme fut soupçonnée par ses beaux parents d’être à l’origine de la mort de Sim. Une histoire bien africaine en somme ou spécialement togolaise, que le narrateur raconte en quatorze chapitres où il tourne en dérision ses propres traditions « tribaliques » en qualifiant par exemple une cérémonie traditionnelle de « fête des muscles ».

Le livre est marqué par une violente critique contre le système du parti unique et ses corollaires que sont le tribalisme, la corruption et le népotisme, la primauté de la vie communautaire sur la liberté individuelle. Roman au vitriol par les réalités sociologiques et politiques qu’il dépeint sans concession, certes, mais roman d’apprentissage également qui met le lecteur sur la trace des idéaux de démocratie, de nationalisme et de tolérance.

Et c’est là que se situe l’intérêt de ce livre écrit dans un style libre, monocorde, avec humour et sarcasme, et surtout beaucoup d’amertume. C’est un hymne à la liberté de penser, à l’individualisme, à la bougeotte dans une société figée dans des carcans sociaux qui empêchent l’individu d’évoluer, et avec lui toute la société d’être sur la voie du progrès et du développement. N’est-ce pas que le travail de Sim consistait à la réflexion, activité désintéressée mais accoucheuse de grandes idées qui ont développé, ailleurs, des nations entières, et qui fait défaut chez nous ? Le triste sort de Sim est un peu les malheurs de ces milliers d’Africains entreprenants et dynamiques qui veulent développer leur pays mais ont mis leurs ambitions en berne, à cause des pesanteurs sociales.

C’est tout simplement un appel à la démocratie que lance Esso-Wêdéo Agba. Ayant fait carrière dans les douanes, haut fonctionnaire de la fonction publique togolaise,  l’expérience dans l’administration, des philosophies chrétiennes et humanistes de ce catholique fervent et pratiquant, président du Conseil d’Administration d’une association chrétienne dite Le Rocher d’Israël, ont donné matière à l’auteur. Reste que dans l’ensemble, on peut craindre que l’auteur sur le modèle d’un Enfant du pays de Richard Wright, n’ait un peu pêché, le militantisme et l’engagement politiques ont pris le pas sur l’écriture empêchant le développement d’une histoire qui paraissait intéressante au début du roman par la mort mystérieuse du héros.

Bio express

Agba Esso-Wêdéo Isaac est né à Lomé en 1956. Il fait ses études primaires à Pagala et ses études secondaires au collège Chaminade de Kara puis au Lycée de Sokodé où il obtient le baccalauréat B. Titulaire d’une maîtrise de Droit privé de l’Université de Lomé d’un doctorat en droit économique de l’Université de Paris Dauphine, et du diplôme d’Etudes spécialisées de l’Ecole nationale des douanes de Neuilly-sur-Seine, il fut chargé de cours et de travaux dirigés à l’Université de Lomé  puis inspecteur principal des Douanes togolaises et dirigea les services douaniers de l’aéroport de Lomé.

Agba Esso-Wêdéo est aujourd’hui, secrétaire exécutif adjoint de la Zone d’Alliance de Coprospérité (ZACOP) avec rang de ministre. Il a été jusqu’en 2008 secrétaire général du ministère de l’économie, des finances et de la privatisation. Il est également président du Conseil d’administration de l’association chrétienne Le Rocher d’Israël.

 Tony Feda 

Publié 15 février 2008 et réactualisé le 28 mai 2009

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